Manaslu 2009
le rêve à portée de main

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vue de la montagne vers 5000m


Ce rêve, depuis tant d'années déjà, c'était d'aller décoller en parapente tout là-haut, au-dessus de 8000m, là où personne n'a jamais sorti de voile. C'est le rêve d'un exploit, de quelque chose d'extraordinaire, l'espoir d'être un petit héros éphémère mais héros tout de même, et l'espoir surtout d'une grosse émotion durable et contagieuse.

En cette fin d'année 2008 les conditions sont réunies : temps, argent, état physique et moral. Alors l'engagement est pris, et les préparatifs s'organisent rapidement. Matériel d'altitude et de montagne, nourriture, … tout est passé au peigne fin sous les contraintes efficacité et poids. Pour la voile, j'avais pensé prendre ma Swoop 16m2 light qui m'accompagne si souvent lors de mes vols montagne par ici, mais je me ravise au dernier moment. Le compromis portance/plage de vitesse est difficile à trouver : trop grande, la voile m'handicapera par son poids et m'empêchera de voler si le vent est fort ; trop petite, je devrai faire d'énormes efforts pour décoller si le vent est faible. Finalement j'opte pour une Huapi XS montagne qui me semble offrir un bon compromis.

20 avril, je retrouve Kathmandu 12 ans après. J'ai l'impression que rien n'a changé ! Toujours cette pollution, ce concert incessant de klaxons, ces parfums d'épice dans les boutiques,... Quelle émotion aussi de revoir Pasang, ce guide avec qui nous avions défrichés à l'époque plusieurs sites de vol au nord-ouest de Pokhara, avec d'incroyables péripéties ! (Cf récit) Après 2 jours de « récupération » nous partons en bus vers Besisahar, début du trek qui nous amènera au camp de base. Je fais partie d'un groupe de 8 alpinistes, conduit par le guide Paulo Grobel. Un autre guide renommé nous accompagne pour faire un film, il s'agit de François Damilano.

La première partie du trek emprunte la vallée de la Marsyangdi River, assez touristique car commune avec l'itinéraire du tour des Annapurnas. En revanche, passé le village de Dharapani, nous pénétrons en territoire franchement bouddhiste peuplé de nombreux Tibétains, et les auberges et gîtes se font très rares. Après 4 jours de marche, nous sortons des forêts de pins et de rhododendrons vers 3700m et arrivons dans un paysage grandiose de longues vallées glaciaires encombrées de moraines et de torrents impétueux, entourées de toutes parts par d'imposants sommets enneigés. Lors d'un campement à Bhimtang, petit hameau de bergeries à l'abri d'une moraine dans un vallon engazonné, je sors la Huapi pour la première fois devant les porteurs surpris et impressionnés.

vue de la montagne vers 5000m

Je la ressors 2 jours plus tard au Larkya pass, col à 5150m pour à nouveau quelques gonflages. J'avais l'intention de voler de l'autre côté, mais à l'est c'est tout plat et la brise n'est pas dans le bon sens. Dommage... La descente sur Samdo est d'ailleurs extrêmement longue et éreintante, mais ce village pur style tibétain m'offre enfin mon premier vol le lendemain, devant les habitants et les enfants émerveillés.

Après avoir transité par le village incontournable de Samagaon où nous avons réorganisé toutes nos affaires, nous prenons enfin la direction du Manaslu et arrivons au Camp de Base à 4850m. Il est situé en rive gauche du glacier, et accueille dans un désordre de circonstance une cinquantaine de tentes appartenant à diverses expéditions, dont des Russes, des Japonais, des Coréens, des Catalans espagnols,...

Après 2 jours de repos et de tri, nous reprenons notre route vers les sommets, très progressivement, en ajoutant des camps intermédiaires à ceux dits « classiques ». Cette stratégie par paliers nous permet de mener notre acclimatation dans les meilleures conditions, qui plus est en limitant nos efforts, et de ne pas recourir à l'oxygène que personnellement je considère comme du dopage. Nous sommes aidés par 8 porteurs d'altitude népalais au début, puis 4 au-delà de 6000m.

vue de la montagne vers 5000m

A 6150m, la météo se gâte. Des chutes de neige importantes sont prévues. Nous consolidons nos tentes, bien que notre camp soit protégé des avalanches par un énorme mur de glace. Il va quand-même tomber 2m en 2 jours, et nous sommes obligés de sortir fréquemment pour déneiger, dont une fois en pleine nuit à 4h du matin ! Le lendemain, le beau temps est revenu, mais la neige fraiche nous empêche de progresser normalement. Ce n'est que 2 jours plus tard que nous pouvons installer un nouveau camp un peu plus haut. Finalement, d'autres alpinistes remontent depuis le camp de base et poursuivent notre travail de trace. L'athlétique équipe russe est impressionnante d'efficacité, tout comme certains Népalais payés pour récupérer des affaires de valeurs dans les tentes enfouies sous la neige.

Le 16 mai, après deux voyages assez pénibles pour monter des charges, nous sommes au camp 6800m au col entre le Manaslu et le Manaslu North. Ce dernier est un superbe sommet à 7150m d'altitude, strié d'iceflutes comme sur les sommets péruviens. Le vent est fort, mais le coucher de soleil sur la montagne est magnifique. Nous réinstallons un camp intermédiaire à 7150m, et le 19 mai, après la traversée d'une zone de séracs avec quelques ressauts passés en sécurité à l'aide de quelques cordes fixes, nous parvenons enfin sur la calotte sommitale en glace vive translucide zébrée de quelques traces de neige dans les fissures. Juste avant d'arriver au camp à 7400m, on aperçoit des résidus de tentes qui ressortent de la glace ici et là, puis un improbable macchabée qui gît à quelques mètres de la trace, la main tendue, comme s'il attendait encore une bonne âme pour le redescendre en stop... L'ambiance est franchement particulière, une atmosphère de bout du monde, de zone interdite où il ne fait pas bon passer des vacances prolongées... Nous installons nos tentes, quelques Japonais traînent ici et là, certains redescendent du sommet, pas tous très en forme visiblement, malgré leurs masques à oxygène sur le visage.

vue de la montagne vers 5000m

Après une nuit correcte, nous nous levons vers 3h du matin pour nous préparer. Le froid (-20°c ?) ralentit tous nos gestes, mais je suis surpris de ma relative fraîcheur physique et de mon état de conscience encore remarquable à cet altitude. En revanche, nous croisons à nouveau d'autres Japonais complètement à la dérive sur cet énorme glaçon bleu. Alors que nous marchions depuis ¾ d'heure environ, le guide nous arrête. Le ciel s'est franchement obscurcit à l'ouest, un front orageux imprévu est en train d'arriver et la sentence arrive comme un couperet, il faut faire demi-tour et redescendre. Par ailleurs, le guide nous dit que nous avons déjà trop empiété sur le planning prévu et il ne nous reste plus assez de temps disponible pour repasser une nuit au camp et retenter l'ascension finale le lendemain. Énorme désillusion. Passé un moment d'incrédulité, la viscosité mentale à cette altitude a vite raison de toute contestation possible, il faut redescendre vers le camp de base, tout de suite.

décollage à 7400m (photo Pierre-Olivier Dupuy)

Personnellement, je n'ai pas besoin de beaucoup d'effort cérébral pour prendre une décision évidente : le vent à 30km/h et l'orientation du goulet derrière le camp offre une opportunité de décollage que je ne veux en aucun cas rater. En deux temps trois mouvements j'ai sorti la Huapi compressée dans son petit sac, et je l'étale sur une zone de glace parsemée de neige et de petits cailloux. Pendant ¼ d'heure environ, j'effectue des gonflages qui me démontrent que le vent n'est finalement pas si laminaire, que la surface est relativement glissante et dangereuse, qu'il vaudrait mieux que je reste éloignés des rochers aux alentours, et qu'il me faudra une prise en charge parfaite pour éviter l'étranglement du goulet un peu plus bas. Après m'être retrouvé une fois à terre obligé de remonter à quatre pattes en gonflant la voile, j'ai enfin le bon créneau qui me permet de décoller et de m'éloigner rapidement du relief, malgré quelques légers zigzags inévitables. Un petit cri de fierté, un grand « ouf » de soulagement, et un vol grandiose depuis 7400m jusque dans la vallée vers 3600m. La masse d'air est tranquille, même au passage du col plein vent arrière. Après avoir perdu de l'altitude au-dessus du glacier, je passe à 50m au-dessus du camp de base pour 2-3 coucous, puis termine mon vol dans une clairière au bord de la rivière. Je reste assis dans l'herbe pendant un bon moment, partagé entre l'immense déception d'avoir raté le sommet de pas grand chose et ce beau vol qui m'évite d'ailleurs deux jours de redescente pénible à pied. En tous cas, la Huapi s'est révélée parfaite pour cette mission, je pense qu'avec la Swoop 16 je n'aurais jamais pu décoller là-haut à cet endroit.

décollage à 7400m (photo Pierre-Olivier Dupuy)

Après quelques jours de repos à Samagaon en attendant le reste du groupe, nous prenons le chemin du retour dans la vallée très encaissée de la Budhi Gandaki. Même si les paysages restent superbes, l'ambiance est plutôt triste et les interminables marches sous la pluie n'arrangent pas les affaires, ni mon genou gauche qui souffre autant que mon âme déçue... Le trek s'arrête à Arughat Bazar (qui mérite bien son nom), et bientôt Kathmandu, Bahrein, Paris, et une autre réalité des choses...

vue de la montagne vers 5000m